Par une belle nuit d’inconsciente ivresse carnavalesque, l’imposant marché en fer de Port-au-Prince a sombré dans les flammes. Une fois de plus, une fois de trop. Le monument centenaire a en effet connu sa part de déboires, le dernier étant le violent séisme de janvier 2010. Ressuscité par Digicel, ce patrimoine représentait une faible lueur d’espoir dans un centre-ville abandonné, dévasté, enseveli sous les ordures.
Les incendies de marché ne sont pas rares. Pas rare non plus la disparition de nos monuments. On se souvient de la destruction de l’ancienne cathédrale métropolitaine et celle, plus récente, de la nouvelle. Les causes sont diverses et souvent mal investiguées: commotions politiques, actes criminels, accidents, catastrophes naturelles. Notre pays vit de toutes façons au rythme des tragédies.
Alors que rien n’est fait pour prévenir ces drames, qu’il n’existe même pas un corps de sapeurs-pompiers décemment équipé, ces évènements sont souvent suivis de plaintes et larmoiements, quand ce ne sont pas des affairistes qui s’en emparent pour leur profit personnel. Tout est prétexte à faire son petit beurre ou monter son abjecte mise en scène. Même le malheur des autres.
Après le tremblement de terre de Port-au-Prince, il y a eu bien sûr cette armée d’ONG, ces bonnes âmes de l’assistance internationale qui ont investi la place. Nous savons tous aujourd’hui ce que cela a donné: quelques résultats et un immense gaspillage. Mais il y a eu aussi ces petits opportunistes locaux qui se sont construits une fortune, un nom, toute une carrière parfois, sur le dos du séisme. Comme de vrais charognards.
Nous avons également la manie de ces levées de fonds et autres collectes inopportunes. Comme si la charité avait jamais pu résoudre les problèmes structurels. Comme s’il suffisait de jouer aux pompiers a posteriori. On ne verra pas facilement une collecte réussie (un marathon comme on dit chez nous) pour construire un hôpital, une école, pour équiper des services d’urgence. Mais chaque désastre attire son lot de fausses bonnes intentions, comme les mouches sont attirées par la viande avariée. La vérité est que ce n’est que trop souvent prétexte à photos, parades et autres démagogies. Les victimes ne reçoivent généralement qu’une pitance et sont vites oubliées, abandonnées à leur triste sort. La bonne conscience est sauvée, l’appétit du show-off satisfait.
L’ampleur de nos problèmes est immense et ne pourra pas être atténuée par l’intervention, même de bonne foi, de quelques individus. Nous avons de sévères carences structurelles, organisationnelles, institutionnelles. Le mal ne sera vaincu que s’il est attaqué à sa racine. Les petites actions de saupoudrage ont tendance à donner l’impression que les problèmes sont réglés alors qu’en fait, ils n’ont même pas été effleurés.
Il faudrait déjà étudier et comprendre ces drames puis mettre l’accent sur la prévention. Les solutions doivent être globales et non partielles. Cela ne sert à rien d’avoir un beau marché magnifiquement rénové trônant au milieu d’un centre-ville insalubre et peu sécurisé. Cela ne sert à rien de griller mensuellement une fortune en frais de sécurité privée si on n’a pas une police fonctionnelle. Cela ne sert à rien d’importer des camions citernes si on n’investit pas dans un réseau national d’eau courante. Cela ne sert à rien de rassembler des marchandes sous un même toit si on de dispose pas de banques, de crédits et des assurances adaptées.
La démagogie est certes photogénique mais elle ne préviendra pas la prochaine catastrophe.
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