L’industrie touristique haïtienne connut son ère de gloire entre les années 50 et le début des années 80. Tout s’arrêta net avec la polémique autour du SIDA d’abord et puis aussi avec le début des grandes crises politiques. Elle ne s’est jamais vraiment remise depuis, pendant que nos voisins caribéens faisaient entretemps des progrès remarquables. Que ce soit en République Dominicaine, à Cuba, à la Jamaïque et jusque dans les petites Antilles, le tourisme contribue fortement à l’essor économique.
Il y a cette juste perception que le tourisme peut être l’un des moteur du développement. Il y a aussi cette conscience que dans l’état actuel de non-développement justement, il est difficile d’accueillir des touristes dans un pays sans infrastructures, avec une réputation (pas forcément justifiée) d’insécurité, sans services de santé fonctionnels, sans électricité… L’éternelle problématique de la poule et de l’oeuf: développer d’abord ou prioriser le tourisme ?
La tentation d’imiter le modèle caribéen (particulièrement celui de la République Dominicaine) est immense. Il s’agirait essentiellement d’un tourisme de plages et de “resorts” construit autour du concept de “ghetto” touristique, un peu comme ce qui se fait déjà à Labadie. Le récent projet de l’Île-à-Vaches illustre bien cette approche. On a aussi évoqué dans le passé récent des projets similaires à l’Île de la Tortue ou au Môle Saint Nicolas. Il a aussi souvent été question d’augmenter le nombre de chambres d’hôtels comme si cela suffisait, comme par magie, à amener des visiteurs.
Cette approche se heurte à deux obstacles majeurs. D’abord elle demande de gros investissements qu’il semble difficile de réunir dans la conjoncture actuelle. Il ne faut guère compter sur le secteur privé haïtien qui s’est, dans sa très grande majorité, spécialisé dans la boutique et qui préfère investir ses bénéfices ailleurs. L’État aurait pu profiter de la manne Petro Caribe pour changer la donne mais nous connaissons tous la suite de l’histoire. Les investisseurs étrangers sont peu enclins à apporter des capitaux dans ce climat d’insécurité foncière, d’absence de justice et de corruption endémique. L’autre problème est qu’il s’agit là d’un tourisme de très grande compétition déjà pratiqué (je l’ai souligné) par l’ensemble de nos voisins. La plupart d’entre eux ont bien maitrisé le concept et ont sur nous une belle longueur d’avance. Contrairement à ce que pensent certains de nos compatriotes qui s’extasient devant la beauté de nos plages, il n’y a rien qui ressemble le plus à une plage caribéenne qu’une autre plage caribéenne. Et entre celle facile d’accès (par autoroute sécurisée) et celle à laquelle il faut accéder après l’embouteillage de Carrefour ou de Kafou Marassa (sans compter l’environnement insalubre), le choix du potentiel client est vite fait. Alors que faire ?
Je pense qu’Haiti aurait intérêt, dans un premier temps, à jouer sur sa valeur ajoutée plutôt que sur ses plages. Qu’est-ce que nous avons que les autres n’ont pas ? D’abord nous avons une culture unique dans la région. Ce n’est pas simplement une question de langue ou de francophonie. Quelqu’un eut à dire qu’Haiti est ce morceau d’Afrique jeté dans les Antilles. Le développement de l’industrie touristique en Haïti passera par le développement du secteur culturel dans ce qu’il a de plus authentique. Pas seulement la peinture et l’artisanat. Pourquoi ne pas structurer des festivals pluri-disciplinaires autour du calendrier vaudou et les promouvoir internationalement ? Pourquoi ne pas se concentrer sur notre unique patrimoine bâti, là où il existe encore, notamment dans le Grand Nord ? Pourquoi ne pas investir dans la préservation de nos danses et musiques folkloriques ? Elles pourraient nous rapporter bien plus que le konpa, le rap ou le rabòday (faussement nommé d’ailleurs).
Il faudrait aussi utiliser nos handicaps et les convertir en attraits touristiques. Il y a une demande mondiale pour le tourisme d’aventures, un peu casse-cou, qui propose des expériences uniques. Pourquoi ne pas viser ces niches ? Tout le monde n’a pas juste envie de se bronzer au soleil. Je verrais bien à la limite un tourisme du Bas-peu-de-Choses, de Cité Soleil, Belair ou Martissant. Pourquoi pas ? Il faudra aussi éduquer les Haïtiens à la réalité touristique. Personne n’a envie d’être traité comme une proie dès la sortie de l’aéroport et il y a là un gros travail de prise de conscience à faire. D’autant qu’avec l’absence d’hôtels aux tarifs abordables on devrait proposer le logement chez l’habitant à chaque fois que cela est possible. Cela permettrait des retombées économiques et directes pour les locaux qui seraient alors les premiers à s’investir dans la protection du secteur.
Il est certain que le contexte socio-politique de ces dernières années n’a pas été favorable à la relance du tourisme. Il n’en est pas moins vrai qu’il a souffert aussi d’une absence totale de créativité. A vouloir copier servilement ce qui se fait ailleurs sans tenir compte de notre réalité et de nos spécificités, on a engouffré des millions qui auraient pu servir à autre chose. Il faut risquer des approches originales si on veut gagner gros. Il a suffit d’un petit clip (Despacito) tourné dans un quartier populaire de Porto-Rico pour amener des centaines de visiteurs dans les mois qui suivirent. Nous avons une riche histoire, un patrimoine diversifié, une beauté même dans nos laideurs. C’est cela qu’il faut vendre car nous sommes les seuls à pouvoir le faire.
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