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L’armée de pacotille

La Constitution d’Haïti prévoit une armée et un corps de police. C’est un fait. Mais c’est aussi un fait que l’armée n’a pas disparu par enchantement mais bien en réaction à une longue histoire de violations et d’exactions. Il faut noter que la Constitution n’a jamais été appliquée à la lettre et que la liste des manquements est plutôt longue, l’absence d’armée n’étant pas un cas isolé.

Je ne vais pas faire un cours d’Histoire et vous raconter les nombreux coups d’état sanglants, les trafics de tous ordres, les massacres (Ruelle Vaillant et autres), les abus sur la population. J’ai vu de près certaines de ces horreurs. Dans les années 80-90, alors que j’étais caméraman de nouvelles pour diverses agences internationales, j’ai vu entre autres, une dizaine d’innocents tomber sous les balles à la Grand-Rue parce qu’ils manifestaient pacifiquement, j’ai vu des centaines de maisons de paysans incendiées au Borgne parce que leurs propriétaires refusaient de payer une “taxe” mensuelle de 50 gourdes imposée par le chef de section local, j’ai vu Yves Volel s’effondrer devant le Quartier Général de la Police de Port-au-Prince, un exemplaire de la Constitution à la main… Cette liste est loin d’être exhaustive. J’ai moi-même été interpellé à deux reprises, battu une fois parce que j’exerçais ma profession de journaliste sans compter d’autres tracasseries.

Certains répliquent qu’on va faire différemment, que ce sera une armée professionnelle et patati, et patata. Permettez-moi d’être sceptique. Dans toute son histoire et depuis l’indépendance, l’Armée d’Haiti cela n’a jamais été autre chose. Dans son ADN il n’y a plus jamais eu aucune guerre gagnée, aucun occupant repoussé, aucun outrage à la nation redressé. Par contre c’est une interminable suite de complots qui commence avec l’assassinat de l’Empereur, des luttes fratricides qui sont pour beaucoup responsables de nos tragédies d’aujourd’hui. Nous avons en nous cette maladie du chef qui trop souvent fait ressortir le pire quand on nous confie un flingue. Il n’y a qu’à voir l’attitude arrogante de certains de nos agents de sécurité illettrés. Nous avons déjà beaucoup de mal à mettre en place une police vraiment professionnelle alors vraiment, cette histoire d’armée c’est l’abcès de plus sur un clou.

J’en arrive à cette question capitale: une armée pour quoi faire ? Pour la défense nationale ? Laissez-moi rire. Où était-elle lors de l’affaire Lüders ? Pourquoi l’amiral Killick est-il mort tout seul sur son bateau ? Combien de militaires haïtiens sont tombés lors des diverses occupations américaines ? Où était cette armée quand Trujillo fit massacrer 30000 de nos compatriotes ? Et j’en passe pour ne pas en rajouter au ridicule.

Une armée pour le développement ? Il faut se rappeler que ce n’est pas la fonction première d’une armée. Si on veut faire du développement peut-être devrait-on créer ou renforcer les véritables outils de développement. Une armée pour faire face aux catastrophes naturelles ? Là encore, il serait plus intelligent de renflouer les institutions de protection civile, le ministère de l’environnement et se rappeler surtout, qu’en la matière, le meilleur outil c’est la prévention.

On pourrait toujours se doter d’une armée pour parader (ce qu’elle semble être pour l’instant) mais en avons-nous vraiment les moyens ? Est-ce la priorité du moment ? Quand les ressources sont si rares, est-ce sensé de les gaspiller en feux d’artifices juste bons pour se donner une illusion de souveraineté ? La vraie souveraineté, nous la construirons en nous faisons respecter. Et nous nous ferons respecter  en apprenant à nous comporter comme une nation civilisée.

Ceux qui défendent l’armée le font pour deux raisons principales. D’abord par ignorance. Il y a toute une génération qui ne connait pas (ou ne veut pas connaitre) cette histoire d’abus et de sang. Nous n’arrêtons pas dans ce pays de payer très cher le prix de nos oublis. Ensuite il y a ceux qui ont besoin d’une armée pour défendre leur statu quo, leurs petits trafics, leur petits privilèges, leur corruption. Ils savent très bien que c’est le meilleur outil répressif que l’on n’hésite pas à brandir sous prétexte de sécurité. Ils oublient malheureusement que c’est ce même instrument qui un jour, va se retourner contre eux et leur imposer sa tutelle. Il n’en a jamais été  autrement.

La géopolitique telle qu’elle est aujourd’hui ne nous permettra pas d’avoir autre chose qu’une armée de pacotille. Entre Cuba et la République Dominicaine, il nous faudrait investir un pourcentage significatif de nos ressources pour avoir une armée au niveau. Un jour peut-être, mais nous n’en sommes pas encore là. Pensons d’abord à construire une nation, un pays de citoyens éduqués où l’homme ne pensera plus se définir par la longueur de son Galil mais par la sagesse de son savoir.

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