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Crépuscule

Crépuscule sur la baie de Port-au-Prince

C’est la fin d’une époque. Définitivement, inéluctablement. C’est le début d’une nouvelle conscience collective, l’aube d’un autre cycle. Pour le meilleur qu’on espère mais peut-être aussi hélas, pour ce pire que l’on redoute.

Finie la barrière libre aux vauriens de tous poils, opportunistes, rampants de toutes espèces, médiocres flamboyants, suceurs de la République, bluffeurs, magouilleurs, voleurs insatiables, vendeurs de micros, mercenaires de la plume… Les masques sont tombés au fur et à mesure dans ce grand carnaval de la gargote nationale, laissant un pays exsangue, à genoux, pendant que beaucoup s’en sont mis plein les poches, à coups de per diem, pots-de-vin, subventions bidon, commissions de toutes sortes, contrats inachevés ou inexistants, voyages inutiles, notes de frais exorbitantes…

Les yeux se sont ouverts, les langues déliées, les consciences épanouies. C’est déjà là une révolution. À force de plumer la poule, elle a fini par crier, hurler et elle s’égosille encore devant toutes ces vilenies, bassesses, saletés, énormités. Il faut maintenant que l’on invente la honte pour tous ceux et toutes celles qui l’ont perdue.

Il faut que l’on se souvienne des idéaux de nos ancêtres. Liberté : non pas celle de voler, humilier, tuer, sous prétexte que l’on est chef ou bandit, du pareil au même. Égalité : cette valeur qui devrait interdire les cortèges outrageants, les exhibitions offensantes, l’étalage de la richesse assortie de la sottise la plus abjecte. Fraternité : sait-on encore ce que c’est quand on traite autrui de sauvage, sale ou laid, quand on oublie le partage dans sa richesse devenue petite vertu ?

Liberté ou la mort ! Pervertie. Le fric ou la mort ! L’argent et le pouvoir à tout prix ! Celui des bananes qui n’ont jamais existé, des promesses vite devenues mensonges, celui du pays qui peut mourir pourvu que l’on soit laid et là. Qu’importe ! Après soi le néant.

L’union fait la force. Quelle farce ! On ne s’unit plus que pour dépouiller, tricher, violer, trahir, écarteler, briser, détruire… Sinon le reste du temps, c’est chacun pour soi, dans sa tour de verre, même quand la puanteur finit par l’envahir. On érige des murs , toujours plus hauts, on paie des agents de sécurité en oubliant qu’ils sont eux-mêmes du ghetto et qu’aucune muraille ne saurait résister aux hordes affamées.

C’est un crépuscule et je n’ai aucun regret. C’est l’implosion. La bête se dévore elle-même, du dedans. Certains chialent, craignent la perte de leur petit confort, pleurent la chute de leurs privilèges. Surtout ils regrettent cette illusion de supériorité, cette fausse conviction d’être les bons, d’avoir toujours raison. Mais une élite mérite-t-elle le nom d’élite quand elle n’a accouché que désastres, catastrophes, malentendus, pauvretés, exils, massacres ?

De quoi demain sera-t-il fait ? Nul n’osera se faire prophète des lendemains d’une telle déchéance. Mais l’aube dans son essence est toujours porteuse d’espoir. Il faut laisser la place aux idées nouvelles mais surtout aux hommes nouveaux. Il faudra pendant cette longue nuit de la honte donner de grands coups de balai, des coups de pied au cul et se souvenir que ce jour nouveau n’appartient qu’aux propres et aux braves. Les ordures devront rester à leur place : dans les poubelles de l’Histoire.

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