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L’introuvable éthique

La vie de l’homme au sein d’une société est régie par un ensemble de principes qui établissent des limites à ne pas franchir. La totale liberté d’action n’existe pas dans la mesure où elle finirait par empiéter sur celle d’un autre. Si certaines de ces balises sont inscrites dans la loi, d’autres sont tacitement définies par la morale. Dans un espace un peu plus restreint, cadre professionnel, champ politique, l’éthique est un ensemble de règles définissant ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Mais dans un pays comme le nôtre où les valeurs sont ignorées, voire inversées, ce concept a-t-il encore un sens ?

Une société moderne se construit autour de la loi et de la morale. Ces deux concepts ne sont pas statiques. Ils évoluent avec le temps et permettent à la société de s’adapter pour faire face aux nouvelles réalités.Dans le cas d’Haïti, et la loi, et la morale sont des entités archaïques qui ne répondent plus aux exigences de notre temps. S’il est vrai que nous avons une Constitution relativement jeune, elle n’a jamais pu être réellement appliquée et notre système légal et judiciaire est de son côté totalement obsolète. Nous limitons notre morale à une approche religieuse quelque peu étriquée et dépassée qui donne la priorité aux questions sexuelles. La cohérence sociale n’est maintenue que parce que nos valeurs (ou non-valeurs) se définissent en fonction des concepts de pouvoir et d’argent. Les individus ne respectent que cela et n’aspirent qu’à cela. Nous avons au final une société de petits chefs hiérarchisés et la poursuite de la richesse par tous les moyens est devenue le symbole de la réussite sociale.

Difficile donc ici de parler d’éthique. La fraude, le vol, la tricherie sont tolérés quand ils ne sont pas encouragés. Cela commence à l’école où étudiants et professeurs et jusqu’aux responsables d’établissements s’entendent pour établir un système où l’excellence n’est pas la clé du succès. Les examens et diplômes sont achetables contre espèces sonnantes et trébuchantes quand ce n’est pas en échange de faveurs sexuelles. Le jeune qui commence sa vie professionnelle a déjà assimilé cette notion que le travail bien fait n’est pas un gage d’avancement. Il préfèrera donc les raccourcis de toutes sortes: corruption, trafics, magouilles.

L’exemple vient d’en haut dit-on. L’espace politique est tout aussi pourri. Les élections se gagnent à l’aide de coups fourrés, de bluffs invraisemblables et à profusion d’argent sale. Les concepts d’intégrité, d’honnêteté et de dignité sont absents. Une fois au pouvoir, les responsables ne s’embarrassent pas de scrupules pour intégrer dans la machine leurs parents, amis, maitresses, accointances, sans tenir compte de la compétence ou de la moralité de ces personnes. De la même manière, les contrats d’Etat sont distribués dans la plus grande opacité en fonction d’intérêts privés ou personnels, sans obligation de résultats.

La société civile dans sa grande majorité s’accommode très bien de ce système. Ceux qui sont en-dehors attendent patiemment leur tour. De menues miettes et faveurs sont distribuées, notamment à la presse et aux églises. Au niveau des discours, on a beau revendiquer les valeurs de démocratie, d’équité, de justice sociale, rien de tout cela ne se concrétise dans les faits. On acclame les filous et on fait la promotion des voyous. Le respect est réservé aux forces d’argent sans jamais s’interroger sur leur origine. L’université est méprisée, les intellectuels raillés, les rudes travailleurs n’inspirent que ricanements.

Le système dans son ensemble reste fragile et contient les germes de sa propre destruction. La compétition dans le crime est poussée à l’extrême. On ne peut jamais parler de loyauté et au final, les alliances ne durent que le temps d’une convergence d’intérêts. À quelque moment que ce soit, le pouvoir et la richesse sont monopolisés par une minorité et il reste toujours cette majorité de frustrés. On se retrouve toujours en marge d’une explosion sociale. La soupape de secours reste l’émigration massive mais on peut se demander si cela suffira pour résister aux pressions sans cesse accrues d’une démographie galopante. Le pire reste peut-être encore à venir.

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