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Les hommages

Nemours Jean-Baptiste, père du Konpa Dirèk - 2018, année du centenaire

Dans ce pays, nous adorons les hommages (de préférence post mortem, bien entendu). On le constate à chaque décès d’une personnalité politique ou culturelle. L’année dernière, nous avons eu des hommages en rafale: Boulo Valcourt, Manno Charlemagne, Herby Widmaier, René Préval, pour ne citer que ceux-là. C’est une excellente chose que d’honorer la mémoire d’un individu qui a marqué son temps mais est-ce suffisant et surtout, dans notre cas, n’est-ce pas un peu hypocrite ?

Je vais laisser de côté les hommages politiques pour m’attarder sur ceux liés au monde culturel, qu’il soit artistique, musical ou littéraire. C’est connu, l’artiste haïtien arrive rarement à ne vivre que de son art et même quand il y parvient, les fruits ne sont pas toujours à la hauteur des efforts déployés. Le système lui-même n’est pas conçu pour encourager le développement de l’expression artistique. À cela s’ajoute pour certains, il faut bien l’admettre, des problèmes de gestion personnelle qui font qu’au bout du compte, toutes causes combinées, ils se retrouvent à finir leur vie dans des conditions précaires.

L’État, par l’entremise de ses fonctionnaires et hommes politiques, est souvent le premier à venir se gargariser de discours lors des cérémonies funéraires et autres activités de mémoire. Pourtant il brille par son absence quand il s’agit d’encadrer ces mêmes personnes de leur vivant. A part le carnaval, il y a très peu de subventions artistiques et le cadre juridique et législatif en matière culturelle se rapproche du néant.

La société civile n’est pas totalement hors jeu mais on ne dira pas non plus que ce pays brille par l’abondance de ses mécènes. Et puis il y a de ces curieux paradoxes. Les médias (spécialement les radios et télévisions) sont les plus zélés quand il s’agit de camper les défunts et leur faire prendre des dimensions qui dépassent parfois celles qu’ils ont eu de leur vivant. Ma conception de la grandeur d’un homme est qu’elle est faite de l’addition de ses défauts et qualités. D’ailleurs c’est de ce binôme que se nourrit généralement l’oeuvre artistique. Mais ici la mort blanchit tout, absout tout. On n’est jamais plus vierge que dans son cercueil. Ce sont pourtant ces mêmes médias qui, depuis toujours, refusent de payer les quelques centimes de droit d’auteur (comme cela se fait partout) qui pourraient soutenir les créateurs dans leur production ou pour le moins alléger les soucis de leur retraite.

La vérité est que trop souvent ces hommages semblent profiter davantage aux vivants qu’aux morts. C’est l’occasion de sortir les costumes neufs, de se mettre en vedette en déclamant de beaux discours, de verser quelques larmes de crocodile et surtout de photographier et filmer tout cela. La famille se retrouve seule après, le plus souvent sans héritage et parfois même dans la gêne.

Si nous aimons vraiment et sincèrement nos artistes, notre devoir est de les accompagner et de les honorer de leur vivant. Pas qu’avec des mots mais en achetant et en respectant leur oeuvre. Il ne faut pas qu’ils soient grand seulement l’espace d’un matin de funérailles alors qu’ils ont parfois passé des nuits blanches à jouer devant quelques tables vides. L’hommage posthume prendra alors plus de sens et n’aura pas ce parfum d’indécente “roue libre” pour vivants en mal de paraître. La grandeur d’un pays se mesure aussi à la grandeur de sa culture.

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