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La ville, espace de transit

Un trottoir sous la pluie

Nos villes sont dans un état lamentable. Le mot n’est pas trop fort et les nombreuses images qui circulent sur internet sont là pour en témoigner. Surpopulation, anarchie, insalubrité, insécurité, chaos dans le transport, tout contribue à créer un environnement où il ne fait pas bon vivre. Nous avons beau être choqués quand un photographe s’approprie et diffuse ces laideurs, rien ne semble être fait pour renverser la vapeur et, littéralement, changer de modèle.

Nos grandes villes datent de la période coloniale et avaient été tracées pour, au plus, quelques milliers d’habitants. Jusque vers les années soixante du vingtième siècle, il n’y avait pas encore à proprement parler de surpopulation et il aurait encore été possible de planifier et maitriser la croissance. De plus, les activités économiques étaient réparties sur l’ensemble du territoire et il n’y avait pas cette pression exclusive sur un ou deux pôles. La plupart des villes étaient ouvertes au commerce extérieur et pouvaient compter sur des bourgeoisies locales pour prospérer. Duvalier et la dictature allaient bouleverser la donne.

Il y eut d’abord cette volonté de tout centraliser à Port-au-Prince. Il fallait couper les ailes aux caciques de province dont la plupart n’avaient d’ailleurs pas fait choix du petit docteur. On ferma donc tous les ports, sauf ceux de Port-au-Prince et du Cap-Haïtien. On s’attela aussi à la destruction de toutes les élites de province qui furent remplacés par une nouvelle classe qui, si elle avait une façade populaire, avait rarement la compétence de ses nouvelles fonctions, la loyauté aveugle au régime étant le seul critère. Les régions se retrouvèrent bien vite sans débouchés ou attraits économiques et la population aux abois se tourna vers la capitale quand elle ne se lançait pas carrément à la conquête des grandes métropoles nord-américaines.

Port-au-Prince explosa. Le mini-boom de la sous-traitance dans les années 70-80 n’arrangea pas les choses. On assista à la création des premiers grands bidonvilles qui bourgeonnèrent tout autour de la zone industrielle. Il n’y eut en parallèle aucune vraie politique d’aménagement de l’espace. Cette ville, aux infrastructures conçues pour au maximum 200000 habitants, était entrée dans une folle spirale dont elle ne se relèverait jamais. Entretemps dans l’arrière-pays négligé, oublié, la situation n’a jamais cessé de se détériorer. On migrait donc vers la ville par nécessité plus que par envie. Les conditions n’y étant pas meilleures, c’était plutôt envisagé comme un espace de transit, en attendant de pouvoir s’envoler vers d’autres cieux quand on ne prenait pas carrément le chemin de la mer et la dérive risquée des “boat people”.

Cette population venue de la province ne s’est donc jamais vraiment appropriée l’espace. On n’a pas le même comportement dans une maison qui est à soi et dans celle où l’on ne fait que passer. C’est bien souvent par la force des choses que ce que l’on envisageait comme temporaire est devenu définitif. De plus, il fallait s’adapter à un nouveau mode d’existence fait de promiscuité, sans accompagnement de l’État pour des solutions de base aux problèmes d’eau potable, d’assainissement, de transport, d’électricité… L’expansion des villes haïtiennes a donc pris la forme d’une tumeur cancéreuse galopante qui a bouffé sur son passage tout espoir d’urbanisation et de modernité.

Le constat est terrible et les solutions pour en sortir ne sont pas évidentes. Il faudrait déjà pouvoir arrêter l’hémorragie de la province, encourager les paysans à rester chez eux en les sortant de la condition de parias du pays en-dehors, créer de nouveaux pôles d’attraction économique mais en évitant absolument de reproduire les erreurs du passé. Il faut re-dynamiser les régions en favorisant la créations de nouvelles élites économiques locales. Il faut définir pour chaque ville des priorités de développement spécifiques et complémentaires. Pour Port-au-Prince, une solution révolutionnaire et radicale serait de faire comme le Brésil il y a bien longtemps: déplacer carrément la capitale administrative et politique vers un nouvel environnement urbanisé et contrôlé, choisi en tenant compte de ce que l’on sait aujourd’hui sur les menaces sismiques et climatiques. Encore devrait-on trouver au préalable les moyens pour le faire, déjà que nous avons galvaudé allègrement les mannes de l’après 12 janvier et de Petro Caribe. Une chose est certaine: il faudra bien plus qu’une caravane tourbillonnante pour nous sortir des ornières profondes du sous-développement.

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