Avec les progrès technologiques de ces dernières années, les outils de la création audiovisuelle se trouvent à portée du plus grand nombre. Il est loin le temps où il fallait une expertise certaine pour tourner son film sur pellicule, le faire développer dans un laboratoire spécialisé avant d’entamer le complexe processus de post-production. Loin également l’époque où pour produire de la vidéo de niveau professionnel il fallait investir dans plusieurs dizaines de milliers de dollars d’équipement. Aujourd’hui on arrive à atteindre une qualité inimaginable il y a seulement quelques années à partir de matériels relativement bon marché. Mais le fait de posséder une caméra nouvelle génération ainsi que les logiciels de montage dernier cri fait-il de vous un cinéaste ?
On assiste depuis quelques temps à une floraison de “films haïtiens”, notamment sur internet. Quelques essais de visionnement nous apprennent très vite que ces “films” sont très différents des productions même très moyennes au niveau international. Tant sur le fond que sur la forme. Les scénarios (mais peut-on vraiment parler de scénarios ?) sont légers et superficiels, le développement des personnages proche du nul. Si la définition des prises de vues est parfois très bonne, il n’y a presque jamais ce traitement photographique qui distingue un vrai film de la quelconque vidéo amateur. La notion d’éclairage est absente et je ne veux même pas parler de la recherche d’une esthétique de l’image. Quand au son, négligé, bâclé, il frôle le plus souvent le désastre. La musique n’est là que pour masquer les failles. Un “kache peche”. La médiocre performance des acteurs témoigne le plus souvent d’une absence totale de casting. On fait jouer les copains, la famille, les passants. Il y a peu ou pas de mise en scène.
Posséder un beau stylo et une feuille vierge ne fait pas automatiquement de vous un écrivain. L’écriture c’est d’abord une maitrise de la pensée et des mots et c’est aussi un art. Le cinéma c’est pareil. Le film c’est d’abord une idée qui se concrétise sur papier et prend la forme d’un scénario. Même dans les pays de grande tradition cinématographique, les très bons scénaristes sont rares. Et s’il est vrai que l’on peut apprendre les techniques du scénario, le talent lui ne s’apprend pas.
Le contrôle de la caméra dans ses différents paramètres (exposition, profondeur de champ, longueur de focale, types de plans…) exige aussi un apprentissage ainsi d’ailleurs que la conscience et la maitrise de la lumière. Le son non plus ne saurait s’improviser. Quant au montage, il est plus que la connaissance de divers logiciels. Coller ce n’est pas monter. Le cinéma a une syntaxe et une grammaire qu’il faut avoir appris. La mise en scène et la direction d’acteurs ne se font pas correctement sans un certain niveau de culture.
Les vrais écoles de cinéma sont quasi inexistantes chez nous. Il y a surtout des “boutiques” où l’on apprend la manipulation plus ou moins sommaire des outils du cinéma. Sans plus. Monter une école de cinéma se heurte déjà à un problème de taille qui est l’absence de professeurs qualifiés. Difficile de transmettre ce que l’on n’a pas. Cela dit, il est tout à fait possible de se former valablement sur le tas. A l’ère de l’internet, l’information est omniprésente pour qui est motivé pour apprendre. Il faut prendre conscience que le cinéma est un travail d’équipe qui réunit plusieurs métiers. On peut difficilement être expert en tout. Le mental d’un bon monteur est très différent de celui d’un photographe génial. Avant de penser à voir grand, il faut aussi pouvoir maitriser le petit. Le court métrage est un excellent outil d’apprentissage. Si vous n’êtes pas capable de faire un bon cinq minutes, comment pouvez vous envisager de réussir un long métrage ? Même nos vidéoclips sont rarement cinématographiques, ce qui démontre la cruelle indigence du secteur.
Le cinéma c’est un ensemble de métiers: réalisateur, producteur, cadreur, monteur, éclairagiste, ingénieur du son, acteur, constructeur de décors, costumiers, maquilleurs… Il a ses exigences et ne s’improvise malheureusement pas. Il faut distinguer le cinéma de la folie du cinéma. Une folie très dommageable pour l’image (littéralement) du secteur.
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