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Le syndrome de “Ranmase”

Qui en Haiti, au moins une fois, n’a pas écouté la fameuse émission “Ranmase”, cette messe quasi obligatoire du samedi matin ? Pour ceux qui ne seraient pas branchés, il s’agit d’un ”talk-show” qui, pendant près de 4h, réunit des acteurs politiques autour d’un animateur vedette pour débattre de l’actualité de la semaine. Ça pourrait être une banale émission de plus dans notre paysage radiophonique si fragmenté si elle ne bénéficiait de cette incontestable écoute. Mais après analyse, elle se révèle être, tant dans le fond que dans la forme, bien plus que cela.

Premier constat: elle ne commence ni ne finit presque jamais à l’heure. Nous sommes loin de la ponctualité (à la seconde près) des CNN ou autres NBC; on n’en demande pas tant. Mais on patauge dans ce folklorisme “à l’haïtienne” qui plombe notre société et la conforte dans son amateurisme. Il arrive parfois même que les invités s’amènent au fur et à mesure, en “degrennen”. Le pire étant que cela ne semble choquer ni déranger personne.

Les invités justement, parlons-en. Au bout de quelques mois d’écoutes assidues, on se rend bien vite compte que ce sont les mêmes (une petite vingtaine) que l’on recycle et que l’on refourgue à chaque fois. Mercenaires, chômeurs déguisés en politiciens, chefs de partis virtuels, opportunistes… Comme si ce pays ne se réduisait qu’à cela. Il est vrai que ce sont aussi ces mêmes qui investissent et monopolisent la quasi totalité de l’espace médiatique, limitant toute tentative de vrai débat à leur monotone et bruyante cacophonie. Car cacophonie il y a. Dans “Ranmase” quand ce ne sont pas les bourdonnements et les sonneries des portables que l’on n’a pas éteints, ce sont les invités qui s’excitent au point de s’engueuler et d’en venir presqu’aux mains. Reproduction parfaite de nos bruyantes manifestations de rues ou de nos esclandres parlementaires. Et le respect dans tout cela ? Celui de l’auditeur ? Du modérateur ? La vérité est que dans l’Haiti d’aujourd’hui, celui qui crie le plus, s’agite le plus, s’accapare au final du dernier mot et du butin qui va avec.

“Ranmase” c’est donc aussi un théâtre. Un théâtre et un miroir. Ce qui explique probablement son immense succès. Le sérieux des thèmes débattus est souvent occulté par le côté divertissant, l’aspect “zen”. On gesticule beaucoup, pour le plaisir de la galerie, mais on ne résout fondamentalement rien. Il suffit que cela plaise au peuple qui en redemande et ne s’en lasse pas. On retrouve le mardi-gras dans son rôle exutoire, l’émission n’étant que la réplique fidèle de nos anomalies.

Et comme dans la vie réelle, à la fin du programme, ces “politiciens” qui se sont combattus, diabolisés, entredéchirés, se retrouvent pour une ultime accolade fraternelle et une gentille photo de famille. Comme si de rien n’était. Ce n’était qu’un jeu dont ils sortent tous gagnants car il leur a permis, l’espace d’un cillement, d’exister. Les seules victimes étant toujours l’auditoire, et plus largement, la nation.

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