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Les réseaux sociaux face à la dictature des médias

Une console de radiodiffusion.

La chute de Duvalier en 1986 était aussi la victoire des médias. Victoire durement gagnée et parfois chèrement payée. C’était l’époque du journalisme de conviction, combat mené avec des figures emblématiques telles que Jean Dominique, Liliane Pierre Paul, Konpè Filo, Evans Paul, pour ne citer que ceux là. L’après 86 fut caractérisée par une explosion des médias indépendants. Après la chape de plomb de la dictature, on assista très vite à la diarrhée verbale de la libre expression retrouvée.

Pendant que la presse écrite faisait du sur place, les radios d’abord puis, plus récemment les télévisions, décuplèrent. Très vite, Radio Antilles inventa le concept “libre tribune”. première expérience participative d’un auditoire anonyme, concept qui allait être largement repris et plagié. A part quelques rares exceptions (notamment en photojournalisme), on n’assista malheureusement pas à l’émergence d’un grand journalisme. On se contenta d’un journalisme factuel, se limitant à la superficialité des évidences, ouvrant son micro pour faire remplissage aux vastes palabres des entrevues creuses, aux conférences de presse barbantes, jouant aux pique-assiettes dans les colloques ou réceptions officielle. Les mauvaises langues vont jusqu’à dire que nous avons inventé le journalisme de voyages ou des per diem. Une choses certaine, chez nous le vrai journalisme de terrain ou d’investigation n’a pas encore vu le jour.

Il ne faut pas croire pour autant qu’être journaliste en ces temps là fut un métier facile, à l’abri de tout risque. Nos médias étaient partie prenante de l’actualité politique et en ont subi constamment les contrecoups. Nos apprentis dictateurs ont tendance à étouffer toute voix discordante et cela prit la forme d’intimidations, de sabotages, d’assassinats. Très peu de victimes toutefois de l’envergure d’un Jean Dominique, figure de proue d’un journalisme de conviction qui se fait de plus en plus rare.

Aujourd’hui, bien peu de choses ont changé si ce n’est la multiplication de plus en plus cacophonique des médias audiovisuels, le tout sans réelle offre créative, et l’émergence spectaculaire des auto-proclamés “directeurs d’opinion”. Ce sont souvent des hommes de micros compétents (des “radioman”), avec de bonnes dispositions pour la communication (manipulation ?), mais sans réelle expérience journalistique de terrain, voire sans un bagage analytique suffisant pour prétendre à la direction d’opinion. D’aucuns les soupçonnent de mercenariat, de part leur petit côté “laloz”, n’hésitant pas à mettre leur parole aux service d’intérêts politiques et économiques souvent contradictoires. Ce sont les “bouzen” du micro, à l’audience et à la popularité certes indéniable. Ils ont même l’arrogance de prétendre formater notre paysage socio-politique. Si l’on en juge par les résultats, c’est là un accomplissement bien peu glorieux.

Face à ces médias dits traditionnels, on assiste depuis quelques temps à une redoutable percée des réseaux sociaux. Elle est venue de pair avec la démocratisation des téléphones portables et de l’internet, malgré la piètre performance de nos fournisseur de service. La parole politique s’est d’abord limitée aux forums spécialisés avant de prendre d’assaut les géants comme Facebook ou Twitter. C’est une généralisation du principe “libre tribune” avec en prime interaction et multimédia. Souvent, dans le traitement et la diffusion de l’information, elle précède le média traditionnel qui se retrouve à la traine. La parole devient plurielle et si elle n’est jamais objective, elle est aussi plus difficilement achetable.

Cette révolution ne se fait pas sans inquiéter. Il y a évidemment des excès, des dérives. C’est une forêt vierge ouverte à la désinformation, la diffamation et il faut savoir y faire le tri. Certains comptes ont tout de même plusieurs dizaines de milliers d’abonnés et c’est assez remarquable dans un pays ou nos rares quotidiens tirent laborieusement 20000 exemplaires et où Télé Haiti à l’époque du câble ne dépassait pas 15000 abonnés.

Pour conclure, je dirais que dans notre société aux infrastructures archaïques la radio est encore là pour durer. Elle peut se faire à bon marché, avec peu d’électricité et elle s’intègre bien à l’internet. Pour jouer pleinement son rôle cependant, il y a un immense travail à faire sur le contenu. Et il n’y aura pas de bon contenu sans bons vrais journalistes. La socialisation numérique quand à elle, c’est l’avenir. Nos hommes d’affaires et nos politiciens commencent à le comprendre puisqu’ils sont de plus en plus présents dans cet espace en pleine expansion. Les médias conventionnels qui ne peuvent pas s’adapter à l’internet auront probablement du mal à survivre. Déjà à l’extérieur, on assiste à l’effondrement de la presse papier et à une transformation du médium télévision. Haiti ne sera pas l’exception à la règle.

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