Le temps est au carnaval. Les stations de radio, les écrans de télévision et jusqu’aux pages internet, tout vibre au rythme des morceaux carnavalesques. Plusieurs centaines parait-il, dans un pays presque sans aucune école de musique, sans Conservatoire, sans vrai cursus dédié au niveau universitaire. Le temps de quelques semaines et puis après il n’en restera plus rien, ou peu de choses. De vagues refrains oubliés.
La musique haïtienne n’a pas trop la pêche au niveau international. Il est loin le temps du Konpa-roi régnant sur les Antilles. Loin aussi le temps des belles tournées africaines de Coupe Cloué, du New York City de Tabou Combo ou de la fièvre Ti Manno au-delà de nos frontières. Heureusement nous avons la diaspora, cette extension de nous-mêmes et, de temps en temps une rare étoile d’exception.
Il n’y a pas de musique sans musiciens. Et nous n’en formons plus tellement. Avant, il y a longtemps, il y avait les fanfares de lycées ou de collèges. C’était la règle, pas l’exception. Il était alors facile d’aligner des instruments à vent sans que cela ne détonne. Il y eut aussi la belle époque de l’orchestre Sainte Trinité et des merveilleuses chorales associées. Mais on n’a jamais, à vrai dire, donné à la musique cette importance qu’on lui donne ailleurs. On avait souvent une profession et puis on était, sur les côtés, comme par accident, musicien.
Car la musique s’apprend. On ne peut bien improviser qu’après. On ne fait correctement les choses simples qu’après avoir compris celles plus compliquées. Lady Gaga fut d’abord une pianiste classique, Raoul Denis Junior est avant tout violoncelliste. Eh Oui ! Il ne suffit pas de savoir aboyer derrière un microphone ou chatouiller un clavier. Il y a des règles qui sont entre autres le solfège, l’harmonie, les accords… La musique a une histoire qui enrichit le musicien qui se donne la peine de la connaitre.
Mais la tendance est de s’en foutre. Il y a l’ordinateur pour pallier, croit-on, à toutes les insuffisances. Et c’est vrai, la technologie est un instrument qui peut faire des merveilles. Mais seulement s’il est bien utilisé, s’il est guidé par un esprit compétent imbu des règles de l’art. Car c’est bien d’art qu’il s’agit. Tout bruit n’est pas musique. On ne parlerait pas de fausse note sinon. La technologie a démocratisé cette capacité de faire du bruit, de le rythmer, elle l’a mise à portée de tout le monde. Mais le talent de créer une oeuvre immortelle, c’est un autre niveau, le créneau au-dessus. Et ça, ça manque. Terriblement !
Et la musique haïtienne piétine, dans tous ses genres et tendances. Le Konpa tourne en rond depuis belle lurette, comme enfermé dans la ribambelle de ses séquenceurs. Le rap n’en finit pas de japper, en oubliant la poésie et en bâclant le rythme. La musique racine s’est noyée dans la politique avant d’avoir pu muter vers cette fusion des genres qui aurait pu lui donner une dimension internationale. Et le jazz haïtien ? Et la musique classique ? Enfermés dans leurs petits ghettos élitistes. De temps en temps on nous sort une nouvelle soupe (qui s’appelle Rabòday ces jours-ci) mais qui s’éteint bien vite, sans avoir marqué cette sublime histoire universelle de la musique.
On ne s’en sortira pas sans musiciens. C’est la pâte même de la musique. Et cela se forme dès le plus jeune âge. Il faut une politique de la musique (et des arts en général). Il faut arrêter ce laissez-grainer qui nous accouche toute cette inutile et dérisoire cacophonie. Car une musique qui ne dit rien, n’harmonise pas et ne rapporte rien, c’est comme une drogue pour égocentriques. La dopamine de s’égosiller à crier “2 men anlè” jusqu’au petit matin. Et puis après ? Anyen.
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