Le 14 décembre 1899, Joseph Filippi envoyé des frères Lumière, réalisait la toute première projection cinématographique d’Haiti au Petit Séminaire. C’était le début d’une longue et belle histoire d’amour qui allait marquer plusieurs générations jusqu’à ce lent déclin et cette fin tragique des années 2000. Il y a maintenant toute une jeunesse qui ne connait pas la magie des salles obscures et on aura beau dire, le cinéma, ce n’est jamais mieux qu’au cinéma.
Enfant et adolescent, j’ai littéralement grandi à la lueur des beaux films. À côté des multiplex comme le Capitol, l’Impérial et le Triomphe, il y avait une pléthores de petites salles de quartier à la programmation souvent plus osée, sans oublier le Rex qui dominait le Champs-de-Mars de son imposante majesté. C’était bien avant le grand boom du cinéma haïtien; la pellicule régnait en maître et les péplums d’Hollywood côtoyaient les perles magnifiques du cinéma français. Qui pouvait imaginer qu’on vivait un âge d’or et que seulement quelques années plus tard s’éteindraient les projecteurs et l’odeur veloutée des pop-corn ?
Le premier coup vint de la télévision. Ne payant aucun droit d’auteur et à défaut d’une culture de production et d’un minimum de créativité, la paresse et la facilité l’emportèrent. Ces films que l’on attendait parfois des mois religieusement se retrouvèrent gaspillés sur le petit écran, perdant du même coup une bonne part de leur dimension. Car le cinéma c’est aussi et surtout un cérémonial, presqu’une messe dont la célébration fait jaillir des ténèbres la lumière et le son. Avec la télévision il perd autant sa dimension magique que sa dimension sociale. Le public, mal encadré et bien peu cinéphile, se terra chez lui, croyant faire une bonne affaire. Les salles furent désertées, n’attirant plus en semaine que quelques couples amoureux plus à la recherche de l’intimité des fonds de salle que du merveilleux des scénarios.
Puis vint l’ultime sursaut, le choc électrique des films haïtiens. De petit bourgeois qu’il était depuis toujours, le cinéma devint soudain populaire, drainant des foules immenses. On se souvient de ces files interminables, de ces salles surchauffées devenues trop petites. Le public transcendait sa dimension de simple spectateur et se faisait acteur. Voir un film était presque une jouissance.
Certains crurent à une renaissance. Malgré les petits budgets, l’amateurisme et parfois même la pauvreté des histoires. Il eut fallu profiter de l’élan, éduquer, accompagner, former… Mais ce pays manque cruellement de politique culturelle et souffre désespérément de l’absence de mécènes. On téta la vache à lait sans jamais penser à l’herbe du pré dont elle se nourrit. Tout le monde ou presque s’improvisa acteur, producteur, réalisateur, scénariste… Ce sont pourtant des métiers qui s’apprennent. Les productions en pâtirent pendant que le public, délaissant l’enthousiasme des premiers moments, se faisait plus exigeant. Au même moment, la mafia du piratage fonctionnait à plein volume. La poule aux oeufs d’or mourrait assassinée par ceux-là mêmes qu’elle avait enfantés.
Aujourd’hui tous les écrans ou presque se sont tus. C’est l’ère du “ti sourit” et du carnaval administré plusieurs fois par an. Comme pour abêtir. Le cinéma n’est pas seul dans sa détresse. Le théâtre et la danse n’ont plus d’autres lieux que la rue. La musique se fait bruit et trop souvent se mue en gratuites insanités. Reste la littérature, un peu de peinture…. C’est bien peu pour un pays dont on dit qu’il n’est plus que culture.
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