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L’avènement d’un nouveau monarque

En ce début 2017 la page des élections semble tournée, n’en déplaise aux contestataires. Un président est reconnu par une partie de la classe politique, de la société civile et l’international. Le gros de la population semble plutôt indifférent. Certains crient victoire et ressortent leur arrogance. Mais de quelle victoire parle-t-on ?

Je ne m’attarderai pas sur les péripéties de la période électorale et sur les allégations des uns et des autres. Je soulignerai simplement l’insignifiance constatée de la participation aux différents scrutins. Ce n’est donc pas à proprement parler la victoire du peuple qui ne s’est guère mobilisé, lassé, désabusé, en proie aussi aux difficultés d’un quotidien de plus en plus pénible. Les acteurs politiques n’ont fait montre d’aucun charisme. Aucun programme non plus susceptible de réveiller les électeurs.

C’est la victoire d’une certaine élite qui a investi des millions dans ce long processus et qui probablement attend un minimum de retour sur investissement. Mais que doit-on attendre d’un segment qui ne s’est jamais montré intéressé à un vrai projet national, qui depuis près de deux siècles s’attelle à toujours être “musicien du palais” dans le but ultime de préserver ses privilèges ? Ils ont été de toutes les dictatures et ont toujours su tirer leur épingle du jeu. C’est vrai qu’ils se contentent de peu et qu’une économie à la dérive ne semble pas fondamentalement les déranger. Signe des temps, les banques viennent, une fois de plus, d’afficher leur santé exceptionnelle en pleine débâcle générale.

Victoire aussi d’une micro classe moyenne qui aspire à ressembler à cette élite en oubliant, voire en reniant, ses propres origines. C’est là que se recrutent les “sousous” de tous poils, agitateurs, diffamateurs, miliciens (sous d’autres régimes), grands “chimères”… Je les vois déjà me traiter d’aigri à la lecture de cet article. Il est vrai que la paille est toujours plus grosse dans l’oeil du voisin. Ils sont la chair à canon de l’oligarchie dirigeante, celle que l’on n’hésite pas à jeter après usage, comme un vieux chiffon. Leçon combien de fois apprise mais jamais retenue.

Victoire aussi de certaines forces obscures. On ne peut que constater que notre parlement s’est transformé au fil du temps en repaire de bandits. Qui osera maintenant parler des fonds disparus de Petrocaribe ou de la reconstruction ? Il a bien été dépensé cet argent (on parle de milliards) mais on ne voit nulle part les retombées. La misère s’est faite plus noire, le désespoir plus grand. Qui osera parler de certains rapports de l”UCREF ? Coup politique, diront certains. Mais qu’importe ? Il faudrait bien éclaircir tout cela.

Ceci nous amène à la notion de justice étrangement absente pendant la campagne comme si, au final, personne n’y trouvait son intérêt. On nous a beaucoup parlé d’éducation, de production nationale, de santé, d’agriculture… Mais de justice ? Nenni ! C’est pourtant là que le bât blesse. Si à chaque fois que vous vous faites cambrioler cela se termine par une belle accolade avec le voleur, je vous assure que vous vous ferez cambrioler tous les mois. Pire, les brigands se partageront votre adresse. On se plaint que “ça a toujours été ainsi”, que “les précédents gouvernements n’ont pas fait mieux” mais c’est tout simplement parce qu’il n’y a jamais eu de vraie reddition des comptes. La justice, ce n’est pas une vengeance mais sans une justice efficace “se pase mòp pou lave kay tè”.

Victoire enfin de l’international. D’abord parce qu’elle sauve la face. Ensuite parce qu’elle est complice de toutes les corruptions. Enfin parce que, toujours, ses intérêts priment sur les nôtres. Ce n’est donc pas étonnant qu’ils saluent en chorale l’avènement du nouveau messie. C’est pourtant cette même communauté internationale qui nous occupe militairement depuis des décennies, sans amélioration notable de la sécurité ou de la stabilité, qui refuse de prendre ses responsabilités après nous avoir refilé le choléra, qui nous inonde d’ONGs, les unes plus inutiles que les autres. Belle victoire en vérité !

C’est l’échec d’une opposition stérile, tapageuse, divisée, sans projet ni programme, construite autour de “leaders à vie” au MOI surdéveloppé. Gagner était facile. Il suffisait de se mettre ensemble. Fraude ou pas, la victoire aurait été au bout du chemin. Mais bon, il eut fallu une intelligence et une humilité introuvable dans notre classe politique. Qu’ils se taisent pour de bon ! Leur incapacité n’est plus à démontrer.

Sur qui peut-on compter pour l’avenir ? Question importante car l’histoire démontre que les avènements aussi radicaux sont rarement porteurs de lendemains lumineux. Jamais ! Que l’on se rappelle François Duvalier ou Aristide. Alors qui fera la balance ?

La presse ? Nos “journalistes” sont plus occupés à gérer leur vedettariat. Ils se soucient davantage de faire le tour du monde à la traine des délégations officielles, de jouer aux pique-assiettes dans les réceptions bourgeoises, d’interviewer les ambassadeurs des pays dits amis… C’est plus reluisant et certainement moins risqué que de jouer aux Jean Dominique. Le journalisme est une vocation messieurs dames ! Mais qui s’en souvient encore ?

La société civile se retrouve divisée entre ceux qui ont eu l’habileté de se ranger du côté des gagnants et les autres. L’éternelle bataille entre le dedans et le dehors. Il faudrait rassembler. Une chose est certaine: il n’y a pas de vraie démocratie sans opposition. Ah le vilain mot qui fait peur, comme s’il ne devrait exister que le pouvoir ou rien ! Comme si le pouvoir pouvait à lui seul absorber toutes les revendications ! Comme s’il ne fallait pas un regard critique pour sanctionner les inévitables dérives ! Opposition à reconstruire en tout cas, à construire plus simplement suivant un autre modèle. Mais il est vrai aussi que les forces d’argent n’investissent que dans les gagnants, condamnant les opposants à une misérable précarité. L’obsession du court terme !

Reste le pays profond dont on parle peu, ces vraies organisations de base de la paysannerie et du prolétariat. Ils ont peu d’accès au crédit, aux micros et aux caméras, une présence timide sur internet. Ce sont les bien connus “moun andeyò”, ceux au nom de qui tout le monde parle, comme s’ils n’avaient pas une voix. Leur voix. Là se trouve la grande inconnue de l’équation.

On en est donc réduit aujourd’hui à poursuivre cette interminable transition en espérant qu’elle aboutira aux prémisses d’un Etat moderne, soucieux de ses citoyens. La tentation de creuser le trou est encore là, aussi forte que jamais, et il faudra donc garder les yeux grand ouverts. L’heure n’est pas à la fête et la population semble l’avoir compris. On est loin des manifestations de liesse de 1990. C’est le temps des désenchantements mais pour garder un réel espoir, ayons au moins ce courage de regarder la vérité droit dans les yeux.

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