Nous sommes tous des rats

Je suis souvent surpris et même choqué quand j’entends des compatriotes traiter d’autres compatriotes de “rats”. Cette déshumanisation de l’autre se comprend difficilement dans un pays qui s’est libéré de l’esclavage, summum de toutes les déshumanisations. Certes, le mouvement Lavalas auquel on identifie généralement ces compatriotes a commis des excès mais on constate tous les jours qu’aucune tendance politique ne recule devant la violence pour faire passer ses revendications. La violence a pignon sur rue. Mais laissons de côté l’aspect purement politique de la chose. Je dis que nous sommes tous des rats et je vais m’expliquer.

Nous sommes tous des rats parce que seuls des rats accepteraient de vivre dans un environnement aussi insalubre. Avez-vous vu l’état de notre capitale ?  Avez-vous vu ces piles d’immondices qui jonchent nos quartiers ? Avez-vous visité nos marchés ? Avez-vous constaté le chaos de nos trottoirs ? Avez-vous essayé nos transports en commun ? Nous sommes des rats parce que seuls des rats consentiraient à circuler dans ces corridors défoncés que nous osons appeler rues. Nos embouteillages ressemblent à de sordides courses de rats. Quand il pleut, nos villes se transforment en égouts à ciel ouvert juste commodes pour des rats. C’est d’ailleurs l’état permanent de quartiers entiers ou seuls des rats seraient heureux de vivre.

Nous sommes tous des rats car nos cliniques et hôpitaux publics ne sauraient plaire qu’à des rats. Avez-vous jamais été admis à notre pompeusement nommé hôpital général ? Ou alors la maternité de Chancerelles ? Vous auriez compris que même des rats seraient réticents à s’y faire soigner.

Nos paysans sont abandonnés comme des rats de campagne. On leur refuse l’eau potable, l’électricité, l’éducation, la santé, le crédit. Ils sont pour la plupart condamnés à une agriculture de subsistance, juste bonne pour les rats. Ils rêvent des villes ou d’ailleurs, n’imaginant pas que ce qui les attend ce n’est autre qu’une vilaine vie de petit rat citadin.

Nos services de l’Etat sont conçus pour des rats et on nous y traite comme des rats. Combien de temps pour un passeport, un permis de conduire, pour payer ses taxes ? Quel accueil ? Dans quel confort ? Voyez nos tribunaux, notre parlement où d’ailleurs ils se battent comme des rats costumés. Jusque dans la mort, nous restons des rats. Constatez l’état de nos cimetières. Je ne sais pas si Baron et Brigitte s’y hasardent toujours, à moins de s’être transformés en vulgaires loas pour rats.

Même dans nos loisirs nous nous comportons en rats. Nos salles de spectacles sont souvent surchargées, sans sorties de secours. Il faut parfois se taper des files interminables et nous devons garer nos voitures à même les ruelles, comme des rats. Dans les banques, il n’y a que des files de rats bipèdes résignés à perdre des heures pour toucher un chèque ou faire un petit dépôt.

Le 12 janvier 2010, jour du séisme, nous sommes morts comme des rats, piégés dans les trous de bétons de nos édifices sans structure ni architecture. Nos citoyens se font abattre comme des rats par d’autres rats à moto dans une quasi indifférence. Nos routes tuent par piles et par paquets, comme dans une vaste opération de dératisation.

Alors quoi ? Seul l’autre est un rat ? Il n’y a pas que les mauvais gestes du rat, il y a surtout une mentalité que nous avons en commun. Il serait grand temps, après plus de 200 ans de pseudo-indépendance, que nous pensions à dératiser notre intelligence. Car les rats d’aujourd’hui sont les chimères d’hier, les macoutes d’avant hier ou les zenglen de temps plus lointain. Notre société produit aisément des rats, il faut maintenant qu’elle se construise une humanité. Alors seulement nous pourrons espérer autre choses que les tragédies d’une république de rats.

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