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Une culture de la fraude

Un procès-verbal des élections présidentielles de novembre 2016.

Nous nous retrouvons embourbés dans une interminable crise électorale provoquée par des allégations de “fraude massive” ou en tout cas une atmosphère de suspicion généralisée qui risquent d’affecter substantiellement la légitimité du prochain gouvernement. Mais au-delà de cet aspect conjoncturel n’y a-t-il pas chez nous une tolérance exagérée pour la fraude ou les fraudeurs au point de l’ériger en culture ?

Je me souviens que gamin j’avais remarqué que les gens du personnel de maison (ce que nous appelons bonnes ou garçons de cour) ne donnaient presque jamais leur vrai nom quand ils venaient postuler pour un emploi. Il leur arrivait même parfois de changer de nom après chaque emploi. Il y avait une volonté de recommencer une page blanche, effaçant du coup toute trace des fautes ou délits antérieurs. Chez nous, la fraude commence presqu’au berceau. Les déclarations de naissance ne sont pas certifiées par un médecin ou une sage-femme et il est donc possible de les falsifier en toute tranquillité, Il en est de même d’ailleurs pour la plupart des actes d’état-civil. Mariages, divorces, décès peuvent s’acheter et se négocier suivant les besoins.

Mais cette mentalité de la triche se construit surtout à l’école. Ce qui est important, ce n’est pas tant d’apprendre que de réussir les examens. Et pour cela, tous les moyens sont bons. Cela va de la simple copie ou échanges verbaux entre élèves (les traditionnels accordéons) jusqu’au techniques plus sophistiquées de notre époque moderne: calculatrices, cellulaires, tablettes… Le pire c’est que souvent l’école elle-même se fait complice de telles actions. Les professeurs ou surveillants ferment les yeux en échange d’une quelconque faveur (financière ou autre), les directions d’établissement ne se font pas prier pour faire passer en classe supérieure des élèves généreux. Les parents s’y mettent aussi car le diplôme devient plus important que la formation. Les énormes dérives relevées dans l’application du plan de subvention pour l’école gratuite ont révélé à quel point certains de nos soi-disant éducateurs peuvent être corrompus. Et ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg.

Dans la vie courante, nous appliquons le principe du “degaje pa peche”. Les autorités (gwo zotobre) abusent de leur pouvoir pour ne pas se taper les embouteillages, ne pas faire la file dans les institutions publiques ou de service. C’est la loi du plus fort. On fraude pour obtenir un emploi, un visa, une bourse… On fraude évidemment pour devenir maire, député, sénateur, voire président. On vole l’électricité (de nos jours c’est plutôt le black-out), l’eau; on est au pays des chèques “zombies”. On fraude les impôts, la douane…

Le plus étonnant c’est que tout cela parait normal. Le fraudeur est même jugé “intelligent” et celui qui ne fraude pas passe pour le dernier des cons. Renversement total des valeurs. On invoque l’excuse du “tout le monde le fait” Les fraudeurs notoires sont adulés, respectés, congratulés. La justice elle-même est une fraude et ne saurait donc punir les fraudeurs. Avocats, juges, notaires, beaucoup sont mouillés et trempent à fond dans le système. Pour l’étranger un peu vicieux, Haiti est un paradis où il peut assouvir ses instincts de corruption sans grande crainte d’être puni.

Alors quoi ? Il n’y aura pas de solution miracle à cette gangrène qui ronge notre société quand nos leaders (ceux qui devraient la combattre) sont eux-mêmes issus de la fraude. Nos soi-disant institutions et personnes morales (églises, prêtres, pasteurs) se font complaisantes et préfèrent chercher et agiter de faux problèmes pour épater la galerie. Force est de constater que ce pays en entier fonctionne comme une vaste mafia dont les victimes d’en-bas ne rêvent  que d’une chose: s’élever par la fraude et prendre la place des fraudeurs. De quoi être très pessimiste.

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